lundi 15 février 2010

| Avis ¦ A Serious Man, la réponse juive


A Serious Man de Joel et Ethan Coen


Comédie dramatique, USA, 2008, 1H45
Avec Michael Stuhlbarg, Sari Lennick, Richard Kind
Sortie le 20 janvier 2010 


L'objectif : En 1967, un professeur d'université, aux prises avec une épouse qui demande le divorce, un frère perpétuellement au chômage et un étudiant qui tente de le soudoyer afin d'éviter un échec, demande conseils à divers rabbins.


Le subjectif : Avant toute chose je tiens à m'excuser : je ne connais pas bien les Frères Coen. Je ne connais pas non plus le yiddish, ce langage hébraïque employé par les juifs américains et largement présent dans A Serious Man. Pour autant, je peux dire que ce film est une totale réussite, qui mérite bien plus d'engouement – par exemple – que certaines de leurs précédentes productions, Burn After Reading et Intolérable Cruauté en tête. Sous prétexte que ceux-ci étaient portés à l'écran par des prestations, plus ou moins honorables (celle de Brad Pitt en sportif un peu bêta dans Burn After Reading était effectivement une réussite), d'acteurs plus ou moins bankables (Hanks, Clooney, Zeta-Jones, Pitt, Malkovitch, etc.). Ici, pas d'acteurs-stars, mais des acteurs (juifs pour la plupart) à même de porter avec talent et justesse le sujet : les malheurs d'une petite vie juive.


« Ma vie c'est de la merde, et je vous emmerde » peut-on lire en exergue du désormais célèbre site internet « VDM. » Vie de merde ! c'est également ce que le spectateur pourrait dire au héros du dernier film des Frères Coen, Lawrence « Larry » Gopnik. Car tout arrive à ce pauvre bougre, qu'on peut (légitimement) estimer victime d'une malédiction. La source de cette pensée provient de la toute première séquence du film, en noir et blanc. On y voit un couple accueillir un Rabbin, que la femme du-dit couple accuse d'être un Dybbouk (âme d'un mort qui cherche à posséder une personne vivante). Elle décide alors, pour prouver sa théorie (selon laquelle le véritable rabbin aurait donc été remplacé, par le Malin, par un esprit) de lui planter un couteau dans le buffet. Cette scène intégralement tournée en yiddish (et traduite, contrairement aux autres termes présents dans le film) introduit le reste du long-métrage, qui se déroule dans une période historique postérieure (sans pour autant être contemporaine).

Je vous ai perdu ? C'est un peu l'état d'esprit du spectateur à propos de cet incipit, à en croire de nombreuses réactions « à chaud ». Sans avoir d'explication, il paraît malgré tout « logique » de comprendre que cet événement va induire tous les malheurs du pauvre Larry. Tout cela avec un humour très noir et très juif, semblable à ce que les Frères Coen avaient inculqué à Burn After Reading. A Serious Man s'apparente donc à un film intimiste, plongé dans le passé et la jeunesse des deux frangins. La fin des années 60, la découverte de l'herbe qui fait rigoler, du rock... Joel et Ethan ont entre 10 et 15 ans à cette époque « révolutionnaire », et A Serious Man est un peu leur histoire. Un film très personnel, qui peut souvent être considéré comme hermétique, mais nous y reviendrons.

La question juive

La suite du film est (encore une fois) une belle réussite. Personnellement, j'ai pris un plaisir énorme à voir tous ces malheurs s'abattre sur Larry et sa famille. Les passages avec les rabbins ne sont pas les plus drôles ni les mieux réalisés, mais ils apportent ce petit côté loufoques aperçus dans la bande-annonce. Et puis retrouver le personnage de Howard (de la série The Big Bang Theory) est un véritable bonheur. Tous les amateurs du show ne pourront pas être déçu par ces passages ! Un autre second rôle, habituellement aperçu dans Spin City ou Scrubs, est également un des points forts du film. Il s'agit de Richard Kind, qui joue le rôle du frère de Larry, Arthur Gopnik. Il est le frère « raté » de Larry, celui qui se renferme sur lui-même et qui écrit des théorèmes mathématiques pour gagner au jeu – jeu qui le conduit irrémédiablement en prison. Donnant à son frère d'autres raisons de se faire du mauvais sang, en plus de sa situation professionnelle (où il attend désespérément une promotion), familiale (où il apprend sans coup férir qu'il est cocufié par le bien nommé Ableman) et spirituelle (où il se rend progressivement compte que sa vie semble maudite, et qu'aucun rabbin ne peut rien pour lui).



C'est d'ailleurs une des clefs du film : le questionnement de l'homme juif sur les mythes du judaïsme. A chacune de ses interrogations, à chacun de ses problèmes le pauvre Larry est renvoyé (par sa femme, par son avocat, par l'infâme Ableman) aux rabbins, ces hommes de sagesse qui sont censés apporter au malheureux des réponses inespérées. Là encore, le spectateur peut s'estimer lésé, car ces réponses sont soit ambigües, soit inexistantes. Mais il me semble que c'est là justement que tient l'intérêt du film : « aide-toi, car le Ciel a autre chose à foutre que de s'occuper de tes problèmes. » Et Larry se retrouve, comme le spectateur, devant une sorte de vide existentiel, de non-réponse. Les Frères Coen jouent habilement sur ces aspects-là, sur cette ironie juive selon laquelle le non-dit ou le très brouillon enlisent le personnage (et donc le spectateur) tout en lui apportant en façade des réponses. En témoigne la magnifique scène du dentiste, formidablement orchestrée mais qui, comme beaucoup d'intrigues du film, n'aboutit sur aucune certitude. C'est à mon avis tout l'art de A Serious Man, apporter des non-réponses, une sorte de réponse juive.

Une œuvre majeure

Autre point fort du film : la mise en scène. Les plans sont toujours propres et ingénieux, comme lorsque Larry monte sur son toit pour observer sa voisine, nue. C'est peut-être la seule fois du film où son personnage connait un brin de supériorité sur le monde qui l'entoure. Le passage en montage croisé de l'accident de voiture est lui aussi très brillant, me rappelant bizarrement O'Brothers et The Big Lebowski avec leur plans nerveux. Je profite de parler de cette scène pour faire un point sur ses deux personnages : Larry et Ableman. Tout les oppose, à commencer par la signification de leurs noms. Ableman, ou littéralement « l'homme capable », est celui qui, malgré un physique disgracieux, va faire couler le pauvre Larry. Il lui pique sa femme, et on se doute que c'est lui qui tente de lui enlever la promesse d'une titularisation (Larry est professeur suppléant). L'acteur, Fred Melamed, est très convaincant en amant complaisant. Sa nature triomphante et patriarcale tranche avec le défaitisme et la fragilité apparente de Larry. Ce dernier, interprété par Michael Stuhlbarg, est évidemment le pilier du long métrage. Et l'acteur, bien qu'étant totalement inconnu du grand public (vous l'aurez peut-être aperçu dans une ou deux série(s) policière(s)) en est la grande révélation. Il tient superbement son rôle de bonhomme désenchanté, et malgré tout habité par quelques sautes d'humeur jouissives (la scène du joint chez la voisine en est un bon exemple – par ailleurs cet artifice de la drogue est également bien utilisé lors de la Bar Mitzvah du fils de Larry).

A Serious Man est encore plus que cet amas de points positifs, c'est une œuvre majeure dans la carrière de deux auteurs qui comptent. Un tournant, peut-être, qui devrait conduire à des films toujours autant intimes (sur la nature de la condition juive) mais certainement moins opaques. Même si c'est selon moi l'une de ses grandes qualités, cette faculté à ne jamais répondre aux questions qu'il soulève, si ce n'est en semant encore plus le trouble dans l'esprit du spectateur, rend inaccessible le film à une certaine partie du public. Reste que le film, de part son humour et le talent qui en émane (réalisation, interprétation, etc.), est un petit bijou. Les Frères Coen sont de retour, encore une fois.

4 commentaires:

  1. Encore une fois une bonne critique, bien qu'un peu longue. Ce en quoi elle a une similitude avec le film : elle n'est pas accessible à tout le monde... Je puis, sans me tromper, affirmer appartenir à cette infime partie du public. Constat inquiétant, quand à la lecture de ce papier, je me suis rendu compte que nous étions tous deux en symbiose, tant je partage ton avis et ton analyse. Néanmoins, je n'aurais su mieux faire !
    Enfin, si je devais tirer l'essence de cette oeuvre (le film, pas le papier qui ne peut pas encore se targuer d'en être, c'est pas faute d'essayer, quel style ! Oui j'en fais trop... Mais bon, pour un truc internet et aussi long, c'est pas dégeu cocotte) ce serait : « aide-toi, car le Ciel a autre chose à foutre que de s'occuper de tes problèmes ». Une phrase qui aurait aussi bien pu servir de titre...
    P.S. : J'avais aussi pensé à "Sérieux ?", ça t'allait si bien et je crois que je me serais pisser dessus en le lisant !

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  2. à la base la réponse devait être simplement VDM... mais le parallèle avec "la question juive" m'a par la suite sauté aux yeux, sans doute après avoir entendu BHL chez Ruquier l'autre soir.
    Reste que merci Alex pour tes commentaires qui, s'ils sont les seuls, n'en demeurent pas moins les plus important pour moi!
    Pour ce qui est de la longueur, il faudrait en effet que je m'astreigne à faire plus court. Mais pour ma défense cette critique a mis longtemps (vraiment longtemps) à accoucher. Je l'ai faite par fragments et, encore maintenant, je sais qu'elle n'est pas complète.
    C'est vraiment très dur d'écrire quelque chose à froid. Les bonnes idées sont toujours les premières à arriver. Je redoute donc les prochaines critiques, qui seront forcément éloignées de leurs sujets.
    Mais sans plus m'épancher, un grand merci à toi pour ton assidue commentarite aiguë !

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  3. "à la base la réponse" means "à la base le titre"

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  4. J'ai fini par arrêter de boycotter ton blog. La curiosité l'a emporté...
    Je sais que j'ai déjà suffisamment exprimé mon désaccord avec ton analyse de ce film pour que tu te dises "Oh merde, dégage de mon blog!" ou quelquechose de ce genre.
    Mais pour une fois, je suis venu en paix. Je me rends compte que mes seuls arguments pour expliquer que je n'ai pas aimé ce film sont : "pas d'action, pas de jolies filles (ou peut-être une à la limite)et...pas compris". Ce qui me force à reconnaître que mon argumentaire serait bien loin d'être à la hauteur du tien. En toute sincérité, je trouve que tu as défendu ce film avec beaucoup de talent. Je n'ai même pas envie de te contredire et j'en regretterais presque de ne pas l'avoir aimé...ce maudit film. Mais il n'en reste pas moins que ben...j'ai pas aimé.

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