mercredi 10 février 2010

| Avis ¦ La princesse et la grenouille, Disney est allé au charbon


La princesse et la grenouille de Ron Clements et John Musker


Animation, USA, 2009, 1H37
Avec les voix françaises de China Moses, Alexis Tomassian, Anthony Kavanagh
Sortie le 27 janvier 2010 

L'objectif : Tiana, une jeune serveuse rêvant de posséder son propre restaurant est malencontreusement transformée en grenouille après avoir embrassé un prince victime d'un mauvais sort. Pour redevenir humains, les deux batraciens devront vaincre un sorcier vaudou.


Le subjectif : L'attente était longue ! Disney qui revient à la 2D, c'était un doux rêve qui devient aujourd'hui réalité. La dernière expérience de la firme du papa de Mickey date de 2004, et l'échec (tant commercial que critique) de La Ferme se rebelle. Ensuite, Disney a enchaîné (seul) les maigres succès d'estime, toujours en 3D : Chicken Litlle, The Wild, Bienvenue chez les Robinson et Volt, l'année dernière. Entre temps, Pixar est passé par là. L'histoire entre ces deux monstres est infiniment compliquée. Ce qu'il faut en retenir est que le partenariat entre Pixar (passé entre les mains de LucasArts puis dans celles de Steve Jobs, boss d'Apple) et Disney n'ont pas été toujours calmes. Entre 1997 et 2004, les films sont co-produits : Pixar s'occupe de la production et de la création et Disney du marketing et de la distribution. C'est un accord signé en 97 après le succès de Toy Story qui est à l'origine de cet arrangement. Il oblige Pixar à produire 5 films d'ici 2007. 1001 Pattes, Monstres et Cie, Le Monde de Némo, Les Indestructibles et... Cars. Pourtant, Cars, sorti en 2004, est le 6e film de Pixar. Problème, pour Disney, Toy Story 2 est une suite et non une œuvre originale. Produit alors que les tensions entre Jobs (Pixar) et Eisner (Disney) sont à leur paroxysme, Cars risque d'être le dernier film d'une collaboration qui a porté de nombreux fruits (plus de 2M$ de recettes). Mais finalement, l'histoire d'amour entre la souris et la petite loupiote va perdurer.


Mieux, cette histoire d'amour fougueuse va se légitimer devant l'autel de l'animation. Disney va épouser ce chien fou qu'est Pixar. Il n'est plus question de contrat, de partenariat ou d'actionnariat (5 à 15%), la boîte de Robert Iger, nouveau PDG, va acquérir tout simplement celle de Steve Jobs. Ce dernier ne s'en sort pas trop mal puisque le boss d'Apple, détenant plus de 50% de Pixar, devient le plus grand actionnaire de Disney, avec 7%. Il devance Michael Eisner (1,7%), successeur de Walt Disney. Mais contrairement à ce que l'on pourrait croire, l'achat de Pixar par Disney (pour 7,4 milliards de $) n'a pas affaibli le premier. Au contraire puisque, outre le statut de Jobs, ceux de John Lasseter (co-fondateur de Pixar) et Ed Catmull (président) ont favorablement évolué. Catmull a conservé son titre en y ajoutant celui de président de Walt Disney Animation Studios. Lasseter, de son côté, est devenu le directeur de la création de Pixar et Disney. Une consécration pour le génial papa des Toy Stories, 1001 Pattes et Cars, qui peut apporter à Disney son talent et sa vision moderne de l'animation (personnages éclatants, situations détonantes et mélange émotion-humour du plus bel effet). Dixnar est né...

Toute cette digression pour conduire à cette réflexion : de 2004 à 2004, Disney a failli virer au vinaigre. Un mauvais film 2D (La ferme se rebelle) qui percute un excellent film 3D (Cars), et qui symbolise un moment clé de l'histoire de l'animation. A ce jeu, Disney aurait pu tout perdre. Mais la raison l'a emporté et les têtes pensantes de Disney ont d'une part décidé de faire confiance à l'expérience de Pixar, et de l'autre de se plonger eux aussi dans la 3D (les quatre films cités en début de papier). Tout ça pour dire, donc, que le film que nous tenu devant nos yeux ébahis est un retour aux sources fertiles de Disney, mais un retour rendu possible grâce à la dévotion du sauveur des amis de Mickey, à savoir John Lasseter. C'est lui qui a mis en branle ce projet « rétroactif », un film d'animation en 2D alors que les concurrents (Sony et Dreamworks en tête) se bousculent pour faire voir leurs joujoux en 3D. Client d'un marché oublié, Disney a donc décidé de « revenir à la maison », de se sortir les doigts, de – comme lui soumet Charlotte, la petite peste du film - « aller au charbon. »



Et c'est donc ici, après trois gros paragraphes de bla bla, que je vais me mettre à parler de La princesse et la grenouille (LPLG, si vous le voulez bien). C'est l'histoire d'une princesse, et c'est l'histoire d'une grenouille. La princesse ? C'est la 3D (on y revient, partez pas). La grenouille ? C'est la 2D. La princesse se transforme en grenouille, et Disney retrouve son aura d'antan ? Oui bon, peut-être. Reste que LPLG prouve à qui veut l'entendre que la méthode Pixar n'a pas besoin d'images de synthèse pour exister. Et si la ressemblance avec des personnages « classiques » tirés d'Aladdin ou La Petite sirène vous chatouille les pupilles, elle ne reste que superficielle, visuelle, séquentielle. Les personnages, l'humour, le découpage... tout ici est Pixaresque. Les répliques fusent, les seconds rôles sont décapants (Louis l'alligator qu'a tort, la luciole, etc.), les larmes viennent nous tutoyer les glandes lacrymales juste avant, ou après de s'effondrer dans une explosion d'action explosive. Exemple : Tania reproche à Naveen de rester dans sa « tour d'ivoire. » Ce dernier rétorque, ironique, qu'elle n'est pas en ivoire mais « en marbre blanc. » Classique. C'est dans les vieux faitouts cabossés qu'on fait les meilleurs gambos, c'est clair. Mais la recette, elle, est de Lasseter.

On va pas revenir sur les personnages, ils sont fidèles à Disney. La différence principale ici est que le contexte du conte de fées est proche du public américain, puisque l'époque racontée par LPLG, les lieux les impliquent particulièrement. Nouvelle Orléans, du jazz, du folklore tiré de la Louisiane. Pour la première fois chez Disney, le fantastique se mêle avec le concret, et l'histoire (récente) du continent américain. C'est une bonne chose, tant cette région de l'Amérique possède le charme et l'ambiance nécessaires. Si l'histoire s'adresse peut-être plus à un public féminin (conte de fées oblige), les seconds rôles et surtout la fougue de l'héroïne ne délaisse pas les petites têtes blondes masculines. Concernant les doublages maintenant, le résultat est très satisfaisant. Si la voix de Tania fait un peu trop « ricaine », la performance vocale de l'actrice China Moses est saisissante. Et puis ce retour aux passages chantés est également un des points forts du film, qui marque une réelle cassure avec ce qui s'est fait récemment dans les co-productions Pixar (qui ne comportent que peu ou pas de chansons). Petit coup de cœur personnel : l'interprétation d'Alexis Tomassian en doubleur du prince Naveen. La voix officielle de JD (Scrubs), Fry (Futurama) ou encore Martin Mystère est un vrai régal, comme d'habitude.

(attention : spoiler)

Je souhaiterais terminer sur un personnage qui me tient à cœur : la « petite » Charlotte, la fille blonde et pourrie gâtée. Comme écrit plus haut, c'est elle qui incite sa copine Tania (et donc Disney « numérique », je vous le rappelle) à « aller au charbon ». C'est cette gamine pleine de fric, insatiable (Pixar ?) qui conduit à l'action, au changement. Pas forcément pour les bonnes raisons, mais en tout cas elle donne envie à Tania de croire aux contes de fées (le passéisme, la légende... la 2D). Pour, au final, se retrouver sans prince charmant (le résultat, le but, la réussite... le succès pour Disney !), jusqu'à la fin du long métrage. La jeune femme, toujours aussi blonde, danse alors avec un petit gamin, prince lui aussi (« c'est tout ce qui lui importe » dit Tania à propos de son amie), âgé de 6 ans et demi. Pile poil le temps qu'il a fallu attendre pour voir, après La ferme se rebelle en 2004, une nouvelle production 2D chez Disney. Belle histoire, vous ne trouvez pas ?

3 commentaires:

  1. Encore une très bonne critique. Les trois premiers paragraphes sont bien utiles afin de comprendre pourquoi ce film est une pure merveille. D'ailleurs j'aurais suggéré d'utiliser le bon jeu de mot "Dixnar" dans le titre. Ca aurait pu donner un truc dans le genre : "La princesse et la grenouille, enfin un vrai Dixnar". Car c'est bien le fond de ton papier, l'union enfin consommée de ces deux studios hors normes. L'alliance des talentueux pixariens à la monstrueuse beauté du dessin des animateurs de "Basile détective privé" ou "Alladin" ne pouvait qu'accoucher de cette superbe fresque musicale. A ce propos, si j'avais un reproche à te faire, c'est le manque de précisions sur la bande originale du film qui est magnifique. Bien sûr en tant qu'amoureux de jazz, j'ai particulièrement été touché par les notes sucrés-salées-épicées du son de la Nouvelle Orléans. C'est un élément qui renforce la puissance du long-métrage, selon moi.
    Autre détail, le plat typique de louisiane s'écrit Gumbo et non Gambo... Enfin, ce qui compte c'est ce qu'on met dans le faitout pas le nom qu'on lui donne.

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  2. Je n'ai pas lu le spoiler ... Ouf ! J'ai eu peur que tu dévoiles des moments clefs sans nous prévenir.
    L'histoire d'amour entre Pixar et Disney m'a parue un peu longue à lire mais finalement elle précède bien la critique du film.
    Bon en tous cas tu écris de mieux en mieux, c'est de plus en plus précis, je me croirai devant Studio ou un truc dans le style :)
    C'est un régal de te lire ! Bon courage ! Bisous l'artiste !

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  3. Alexandre, effectivement j'ai peut-être été moins "touché" que toi par la musique, mais il est vrai qu'elle est superbe et, en dehors du retour des chansons, elle est un véritable point fort du film.

    Anaïs, je ne pense pas (malgré tout) que mon spoiler dévoile grand chose. C'est simplement car il traite de la fin du film que je l'ai indiqué, mais cela ne devrait pas handicaper le plaisir du spectateur. Concernant le début de la critique, il est vrai que c'est un peu abrupte. J'ai voulu expliquer des choses longues et compliquées, mais n'y suis que partiellement arrivé. De plus, le début est un peu trop long, je me suis perdu en chemin.
    Je suis néanmoins ravi que mon style te plaise ou te fasse penser à Studio. Mais encore plus que tu te régales en me lisant ! Bisous lectrice ! ^^

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