mardi 21 mars 2017

| Interview ¦ 1/2 ¦ Patrick Mille, de la comédie et du Brésil

A l'occasion des Rencontres cinématographiques de Cannes en décembre 2016*, j'ai eu l'occasion de voir le dernier film de Patrick Mille, Going to Brazil. Mieux, j'ai eu l'immense privilège de m'entretenir avec celui qui m'avait fait hurler de rire dans 99 Francs et surtout La Jungle, comédie française à laquelle j'avais réservé un "Film du samedi soir" il y a cinq ans déjà

 

En salles mercredi 22 mars, Going to Brazil raconte la folle aventure de trois copines invitées au mariage de leur meilleure amie au Brésil, mais qui, à peine arrivées à Rio, vont tuer accidentellement un jeune homme trop insistant, et s'embarquer dans un périple trépidant à travers tout le pays, et entre drame et comédie.

 

En attendant la sortie du long-métrage, et la critique qui suivra, voici la première partie de l'interview, consacrée au réalisateur, à ses goûts, à sa définition d'une bonne comédie, mais aussi au Brésil, protagoniste important de son deuxième film, cinq ans après Mauvaise Fille. Rencontre !


© Vincent Rosenblatt




▷ Toxinémane : Patrick Mille, quel cinéphile êtes-vous ?
Patrick Mille : Je vais tout voir, du film turc de 3h de Nuri Bilge Ceylan, jusqu'au cinéma de Rodriguez ou Tarantino… Bon, je vous avoue qu’il y a certains films que je vais moins voir, en l’occurrence les comédies françaises formatées, ça c’est pas trop ma tasse de thé. Sinon les comédies américaines j’adore, le cinéma italien aussi, et puis il y a des cinéastes français dont je vais forcément voir les films, comme Lioret, ou Audiard évidemment. C’est intéressant de voir des gens comme ça. Donc oui je suis un spectateur très éclectique finalement, je vais tout voir, à part un genre qui ne me passionne pas, mais je comprends que les gens aiment. Et tant mieux si ça marche !

▷ Et comme réalisateur ?
On peut dire que je suis aussi éclectique ! Mon premier film Mauvaise Fille était un drame adapté d’un livre, avec une histoire très intime. Là avec Going to Brazil on est dans quelque chose que je qualifierais d’assez operating, d’assez dingue, d’assez tropical. C’est une vraie comédie !

Pourtant le film contient des ingrédients dramatiques...
Il y a un mort, donc il y a un drame, ou en tout cas quelqu’un qui vit un drame. Et puis sans trop en dévoiler, les héroïnes du film vont vivre un vrai thriller, elles sont poursuivies par des gens qui n’ont pas vraiment conscience de la justice normale. Donc oui, pour moi elles se retrouvent dans un drame.

"L'ingrédient d'une bonne comédie,
c'est que ses personnages vivent un drame !"


Les deux sont donc compatibles ?
Pour moi, l’ingrédient d’une bonne comédie est que les personnages de cette comédie vivent un drame. Et nous spectateurs, on se marre ! C’est pour ça que j’aime la comédie anglo-saxone qui est plus une comédie de situation qu’une comédie du verbe. Alors que dans la comédie française on a tendance à être beaucoup dans les vannes, dans le jeu, dans le surjeu… Moi ce qui me fait rire, c’est quand un personnage se dit qu’il a raté sa vie, que c’est vraiment une merde. Et tout d’un coup si ça déclenche le rire, je me dis que oui, le drame est soluble dans la comédie. Le meilleur exemple c'est Molière : ce que vivent ses personnages ce sont des drames profonds, et nous on s’en amuse !

C’est un peu votre personnage dans La Jungle, qui se décroche la mâchoire en vomissant…
(Rires) Oui par exemple, sans citer La Jungle, c'est exactement ça. C’est-à-dire que les personnages vivent un enfer, ils ne sont pas drôles, ils ne font pas les malins. Au contraire, ils sont pris au piège de quelque chose. C'est d'ailleurs le propre d’un film : le suspens. Il faut qu’il y ait une traversée héroïque, quelle qu’elle soit, même si elle est anti-héroïque. J’aurais d'ailleurs pu tourner Going to Brazil comme si c’était un thriller noir, et totalement dramatique, mais le fait qu’on soit dans une situation absurde dans un pays qui est complètement dingue et où tout est démesuré, où tout prend des proportions inimaginables, même les choses les plus simples, tout ça fait que c’est drôle et que la situation est drôle. Je demandais aux actrices tout le temps d’être dans la vérité, car ce qu’elles vivent n’est pas drôle, mais vu du spectateur, l'ensemble fait rire. Parce que finalement, même la mort c’est drôle, si on veut. C’est ça le propre de la comédie.

Justement, qu'est-ce qu'une bonne comédie ?
Pour moi, ça marche si le spectateur arrive à frémir avec les personnages, s'il parvient à se demander ce qui va se passer, comment untel ou unetelle va s’en sortir, parce qu'ils sont dans une situation extrême ou de dangerosité... C'est pour ça que j'aime beaucoup Tarantino, je trouve que dans ses films on rit énormément, et pourtant ce ne sont pas forcément des comédies. Dans les situations les plus violentes, on rit ! Et cette espèce de contre-point permanent, moi j’adore. Alors après ça peut déstabiliser ici, on est très formaté en France et ce genre de propositions cinématographiques n’est pas forcément aisé, les gens ne savent pas forcément le vendre. C'est dommage, souvent ce qu’on accepte à l’étranger, on l’accepte moins chez nous.

© 2015 CHAPTER 2 - MOONSHAKER II - BE BOSSA NOVA - NEXUS FACTORY - France 3 CINEMA - VAMONOS


▷ C'était ce que vous vouliez faire avec Going to Brazil ?
Oui, mais mon intention était aussi tout simplement d’essayer de faire du cinéma. Je ne pouvais pas me permettre d'aller tourner au Brésil pour après me rendre compte qu'il n'y avait pas de souffle, pas de beaux plans. C'est souvent ce que je regrette dans la comédie formatée française : ça ressemble à des téléfilms - même si attention, la télé fait parfois plus de cinéma que certains films. Mais en tout cas je me devais d’avoir une proposition forte. Les gens si je leur vends le Brésil, il faut vraiment que je leur montre le Brésil, j’avais envie de cette proposition qui fait que tout d’un coup, on est au cinéma. C’est pour ça que je l’ai tourné en scope aussi, pour que ce soit vu dans une belle salle, que les gens voyagent. Je l’ai fait pour la salle, pour le grand écran.

Pourquoi le Brésil ?
Comme l’a écrit Christine Angot : Pourquoi le Brésil ? (Rires) Parce que très sincèrement, avant de commencer à penser à l’intrigue, j’avais envie de choisir un pays. Comme j’aime voyager et que je n’avais pas envie de tourner à nouveau à Paris, en Bretagne ou à Arles comme dans mon précédent long-métrage, et comme le cinéma que j’aime c’est aussi un cinéma où, d’un coup, je vois des choses que je n’ai pas l’habitude de voir, c'est ce que je me suis dit : choisis un autre pays. Il se trouve qu’un de mes pays passion c’est le Brésil. C’est un pays qui me fascine : j’aime tout, j’aime les gens, j’aime la musique, j’aime leur histoire. En plus je suis Portugais, je parle la langue et j’avais la chance d’être compris, donc je me suis dit que j’avais envie de faire un film, de tourner là-bas au Brésil. Alors je suis allé voir mon producteur et je lui ai dit : "écoute c’est une comédie, avec des filles, il leur arrive des bricoles et c’est au Brésil". C’est comme ça que j’ai vendu mon développement de synopsis (rires). Le départ, la feuille de route que j’avais avec mon coscénariste Julien Lambroschini, c’était ça. Et puis après j’ai imaginé qu’il fallait du suspens, de l’intrigue, un meurtre, et puis c’est venu, c’est sorti de notre imagination. On a développé ce qu’on avait envie de raconter, de faire vivre à ces filles, et au public.

L'histoire aurait pu se dérouler ailleurs ?
On aurait pu faire Going to Mexico, Going to Bangkok, c’est quelque chose qui peut se décliner ; mais moi c’est le Brésil qui m’intéressait. J’ai une passion pour ce pays depuis vraiment petit, même quand j’avais 10 ou 11 ans à l’école quand je devais faire un exposé, je prenais toujours le Brésil. Je me suis très vite intéressé à sa culture, à son histoire, à son cinéma aussi. Je n’étais pas spécialiste mais c’était un pays qui m’intéressait, donc j’y allais et j’ai écrit en connaissance de cause. Et puis, le fait que ce soit le Brésil rend cette histoire plus sexy, plus dingue, parce que c’est un pays dingue !

"Le Brésil rend cette histoire plus sexy, plus dingue,
parce que c'est un pays dingue !
"


Aussi dingue que dans votre film ?
Honnêtement, tout ce que l’on voit dans Going to Brazil est la vérité. Il n'y a pas un truc qui se passe dans le film qui soit tiré par les cheveux, dans le sens que tout peut être vrai là-bas. Ce genre de situation arrive, les rois de la viande veulent faire de la politique et peuvent un jour devenir présidents, il y a des trafics dans les favelas qui n’ont pas encore été pacifiées, il y a de la corruption à tous les étages, c’est un pays très compliqué et en même temps incroyable.

On a l'impression qu'il y a cette opposition propre au Brésil entre les plages et la fête d'un côté, et la pauvreté des favelas de l’autre…
C’est surtout propre à Rio ! Il y a ce qu’on appelle l’asphalte, et juste à côté les favelas. L’asphalte c’est Copacabana, Ipanema, Leblon, les quartiers du centre. Et même si vous êtes dans la rue la plus chic, à Leblon par exemple, ou Ipanema, vous levez la tête et vous avez ces favelas qui vous surplombent. Tous ces gens vivent-là, ensemble, c’est l’économie brésilienne. C’est toujours imbriqué, même si les barrières sociales sont toujours extrêmement fortes.
  
Comment s’est passé le tournage ?
Les actrices n’avaient jamais mis les pieds au Brésil, et j’ai fait en sorte de les faire venir seulement quatre jours avant le tournage (rires), justement pour qu’elles vivent vraiment les trucs. Je l’ai fait exprès, je les ai un peu surprises là-dessus, mais je savais ce que je faisais, je voulais qu’elles vivent le truc directement. Elles ne se connaissaient pas, à part Alison (Wheeler, ndlr) et Vanessa (Guide, ndlr), mais elles habitaient toutes dans le même hôtel, et du coup elles se sont très liées. Et je pense qu’elles ont vécu une vraie aventure pendant ce tournage, proche de celle vécue par les personnages. Quand elles arrivent dans les favelas, qu'elles tombent sur un baile funk, elles le ressentent vraiment parce qu'elles ne s'y attendent pas, je ne leur montrais jamais les décors avant. J’ai adoré choper ça !


En attendant la critique mais surtout la seconde partie de l'interview de Patrick Mille, qui sera notamment consacrée à son personnage de Monsieur Hervé, au superbe casting féminin de Going to Brazil et à ses inspirations et modèles, voici la bande-annonce du film, en salles mercredi 22 mars - et que je vous recommande chaudement :




*Un immense merci à Patrick Mille pour cette interview, mais aussi à la superbe équipe de Cannes Cinéma, sans qui rien n'aurait été possible !

1 commentaire:

  1. Il est facile de trouver ici tous les films pour vous-même https://papystreaming.wiki/ Le site est excellent et totalement gratuit, je vous conseille de regarder de plus près. De plus, la qualité est bonne, ce qui est excellent, mais voyez par vous-même.

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